Rapport du Premier Maître de la Loge Macilienne au Vénérable Grand Maître de la Ghilde
(extraits)

Cela m’a pris du temps, mais j’ai enfin réussi à infiltrer l’Enclave, en me servant du jeune Maître que nous avions expédié dans les camps rebelles des Montagnines. C’est un archer hors pair qui a pu me faire parvenir un premier rapport, lacé à une flèche, moins de quatre nuits après son infiltration. Depuis, il m’en expédie régulièrement et tous sont porteurs de nouvelles alarmantes...

Notre agent sur la Colline – l’Assistant même que vous m’aviez délégué et que je pensais mort – a trahi ou, s’il ne l’a pas fait, il a déserté. Il s’est carrément placé au service du Conseil de l’Enclave et se voue totalement et sincèrement à la mission que celui-ci lui a confiée.

Je ne m’étendrai pas sur le système politique mis en place par les Collinards (il est amplement détaillé dans le dossier joint), mais vous pourrez juger du schisme qu’il risque de créer dans un contexte monarchique et, comme moi, vous ne douterez pas, si les Portes de la Colline devaient se rouvrir d’elles-mêmes, que, au moins par l’esprit, les Collinards n’y renonceraient jamais.

De toute façon, si d’aventure nous parvenions à les affamer ou si la malemort les frappait de plein fouet, je ne crois pas qu’ils se résoudraient à réintégrer la Province.

Entre autres choses, Vénérable, ils se sont dotés d’une autonomie alimentaire, d’un gouvernement, d’une police, d’une école, d’une économie et d’une monnaie. Une monnaie de papier, Vénérable, produite par leur propre imprimerie, gérée par leur propre banque et distribuée équitablement à tous ! Car, en tout, l’équité est leur maître mot. Que voulez-vous que leur fasse miroiter la Citadelle ? Que voulez-vous que leur offre le Prince ?

La fin d’une famine qu’ils ne connaissent pas ?

À ma demande, le Connétable a constitué des garnisons dans tous les villages qu’ils pourraient atteindre et l’Armée Princière a écrasé les contrebandiers, brûlé leur village dans les marais et exécuté ceux qui essayaient de fuir. Mais quel refuge croyez-vous que ces marauds sans morale tentaient d’atteindre ? La Colline, bien sûr, comme l’ont tenté avant eux les survivants des frondes auxquelles nous avons mis un terme.

Le Prévost fait surveiller le fleuve et des patrouilles arpentent les gorges de l’Aven et la garrigue, mais c’est sans espoir : même si l’Enclave stoppait ses expéditions, elle ne manquerait de rien, ou de si peu qu’une poignée d’hommes pourraient aller le chercher sans que nous le sachions.

Ils ne nous ont pas seulement échappé, ils se sont mis hors de notre portée, et ils l’ont fait de manière admirable. Car, quoi qu’il advienne, Vénérable Maître, leurs audaces et leurs innovations franchiront les siècles et feront le tour du monde. Ce qu’ils ont réalisé, d’autres le réaliseront. Nous peut-être. Nous sûrement. Ne sommes-nous pas le mouvement intemporel qui permet aux hommes de rattraper le destin de l’humanité ? Un de vos successeurs, Vénérable Maître, favorisera l’égalité par le droit. Un autre promouvra les vertus de l’école populaire. Un troisième participera à la chute des monarchies (ne vivons-nous pas déjà leur déclin ? Ne sommes-nous pas leur fin ?). Et s’ils ne le font pas, si nous ne le faisons pas, d’autres le feront, des individus très ordinaires issus de leurs modestes milieux, qui se passeront du Dogme, des Citadelles et de nous. Malgré nous.

Mais c’est à vous aujourd’hui que j’ai affaire, et c’est à moi qu’ils ont affaire.

Pour m’épargner tout espoir et toute désillusion, je ne vous présente aucune conclusion, aucune proposition. J’attends vos ordres.